S’il est une maladie qui focalise une grande partie de nos peurs, au point qu’il est souvent difficile de la nommer, c’est bien le cancer. Décrit dès l’Antiquité par Hippocrate, le cancer est associé à une multiplication incontrôlable de certaines cellules au sein d’un organe, dont il va souvent prendre le nom. C’est la raison pour laquelle il est plus juste de parler des cancers, au pluriel, les conséquences de la maladie pouvant être très différentes selon l’organe concerné, mais aussi selon la taille de la tumeur et/ou le degré de colonisation d’autres organes. En 2017, ce sont 214 000 hommes et 186 000 femmes qui ont appris qu’ils souffraient d’un cancer, la plupart du temps aux alentours de 68 ans (10). Cette statistique est en légère diminution chez les hommes, en partie grâce à une diminution du nombre de cancers de la prostate, alors qu’elle est assez stable chez les femmes, puisque la baisse du nombre de cancers du sein est contrebalancée par l’augmentation du nombre de cancers des poumons. Si le cancer représente toujours la première cause de mortalité en France (environ 1/3 des décès en 2017, avec 84000 hommes et 66000 femmes) (10), l’amélioration du dépistage et de l’efficacité des traitements a permis d’améliorer de façon significative le taux de survie au cours de 3 dernières décennies. Ainsi, ce sont aujourd’hui environ 3 millions de français qui ont été concernés à un moment de leur vie par un cancer (3).
Si ce dernier constat est rassurant et devrait continuer à progresser dans les année à venir, il s’agit malgré tout d’une épreuve qui laisse rarement les patients indemnes. En effet, les cancers et leurs traitements sont associés à un certain nombre de symptômes qui affectent de façon significative la qualité de vie, et parfois la situation professionnelle (12). Le sentiment inhabituel et persistant de fatigue extrême est de loin celui qui est vécu comme le plus pénible par les patients (5). Il est souvent l’élément déclencheur d’une modification des habitudes de vie, en particulier une diminution de la dépense énergétique, qui va faire le lit du déconditionnement physique et de la perte progressive d’autonomie (11). Bien qu’elle ne soit pas la seule, l’altération des propriétés musculaires tient une place centrale dans ce cercle vicieux. On observe en effet une perte de masse musculaire plus ou moins marquée selon le type de cancer (8), qui contribue avec l’altération de l’aptitude cardiorespiratoire (15) à diminuer encore un peu plus l’activité physique. Cette modification de la composition corporelle est également associée à une diminution de l’estime de soi et des interactions sociales (18), une augmentation du risque de dépression (19), une diminution de l’efficacité du traitement (16) et une augmentation de ses effets indésirables (2). L’amyotrophie musculaire et la perte de force qui lui est associée représentent ainsi un facteur prédictif important de l’espérance de vie chez les patients atteints du cancer (17).
Il est très bien établi que l’adoption d’un mode de vie physiquement actif et/ou la participation à un programme structuré d’exercice permettent d’améliorer les aptitudes cardiorespiratoires et neuromusculaires de la population en général. La littérature scientifique montre que des bénéfices identiques sont attendus chez les patients atteints du cancer, peu importe le moment où le programme est mis en place : pendant, à la fin ou à distance du traitement. Kerry Courneya, Professeur à l’Université d’Alberta à Edmonton, au Canada, a ainsi pu montrer qu’un programme de renforcement musculaire de 17 semaines appliqué pendant la chimiothérapie avait permis d’améliorer les qualités de force de plus de 30% chez 82 femmes traitées pour un cancer du sein, en partie grâce à une augmentation de la masse musculaire, et sans effet notable sur l’aptitude cardiorespiratoire (4). A l’inverse, un programme cardiovasculaire de durée équivalente proposé à 78 femmes traitées elles aussi par chimiothérapie pour un cancer du sein, a permis de maintenir l’aptitude cardiorespiratoire (alors qu’elle diminuait dans les autres groupes), sans effet notable sur la masse musculaire et les qualités neuromusculaires. Les résultats de cette étude montrent donc clairement que des bénéfices sont envisageables pour les patients qui réalisent ces programmes pendant leur traitement. Ils soulignent également qu’il y a tout intérêt à construire des programmes d’exercice qui intègrent toutes les dimensions de la condition physique (4).
Un frein réel à l’engagement dans un programme d’activité physique est ce sentiment persistant de fatigue extrême qui affecte les patients. Lillian Sung et son groupe de recherche de l’Hôpital pour enfants malades de Toronto, au Canada, viennent de publier une méta-analyse faisant la synthèse des résultats de 170 études. Ils montrent que la participation à un programme structuré d’activité physique diminue de façon significative le niveau de fatigue perçue (14). Ce constat est vrai quelle que soit la nature des activités, même si les exercices à dominante cardiovasculaire semblent plus efficaces. Comme pour la condition physique (4), la méta-analyse récemment publiée par Amy Denett et ses collaborateurs de l’Université La Trobe, en Australie, montre que les bénéfices les plus importants sont observés lorsque le programme est initié de façon précoce, dès le début du parcours de soin (6).
Grâce à son effet sur la condition physique, la composition corporelle ou encore la fatigue, un programme structuré d’activité physique contribue à améliorer de façon significative l’estime de soi (13) et la qualité de vie des patients, particulièrement lorsqu’il est associé à des thérapies psycho-comportementales (7). En effet, et il s’agit probablement de l’un des éléments qui sont le plus de nature à motiver la prescription d’activité physique par les médecins oncologues, les données issues de grandes cohortes montrent que la participation à un programme structuré d’activité physique et d’exercice est associée à une réduction de la mortalité et du risque de récidive. Par exemple, Ibrahim et ses collègues (9) ont observé une diminution de la mortalité de 41% et du risque de récidive de 24% chez un peu plus de 10000 patientes souffrant d’un cancer du sein ayant participé à un programme structuré après le diagnostic du cancer. Des résultats assez comparables ont été rapportés pour les cancers du colon-rectum ou de la prostate (11).
Puisque l’intérêt de l’activité physique ou d’un programme structuré d’exercice dans la prévention primaire et secondaire du cancer ne fait plus de doute (11), tout l’enjeu consiste donc à accompagner les patients pour les aider à lever les nombreuses barrières physiques, psychologiques et parfois environnementales qui freinent leur engagement dans un mode de vie physiquement actif. Il convient également d’inscrire cette approche dans une démarche globale basée sur le développement des sentiments d’auto-efficacité (confiance dans ses capacités à changer de comportement) et d’auto-détermination (se sentir à l’origine de son comportement), notamment grâce au recours aux entretiens motivationnels. Enfin, si l’accompagnement par des professionnels est incontournable, le soutien social apporté par la famille, les proches et les autres patients atteints du cancer, que ce soit directement ou par l’intermédiaire des méthodes de communication à distance, sont également des facteurs très importants dans l’adoption de comportements favorables à la santé.
Une fois que la personne est prête à s’engager, les professionnels en activités physiques adaptées mettent en place une stratégie individuelle qui s’appuie sur une première évaluation du niveau d’activité physique habituelle et des freins à l’activité physique. Le scenario proposé va ensuite dépendre des contre-indications identifiées par le médecin. En l’absence de contre-indication et de freins majeurs, alors les recommandations générales proposées par l’Agence nationale de sécurité sanitaire peuvent s’appliquer directement (1). En revanche, si la personne souffre de limitations fonctionnelles ou de freins importants à l’activité physique, alors ce premier bilan va être complété par une évaluation plus exhaustive incluant un entretien motivationnel et des tests fonctionnels. Le scenario proposé pourra alors prévoir une période de transition supervisée avant d’intégrer un programme structuré d’exercice. Les options sont nombreuses. Plusieurs fédérations sportives ou spécialisées dans le cancer proposent des programmes dont l’efficacité a été démontrée. Il est également possible de faire appel à un enseignant en activités physiques adaptées, dont c’est le cœur de métier de proposer des plans d’actions individualisés et adaptés à la pathologie. Dans tous les cas, il est important de se faire accompagner et de s’assurer que les différents professionnels communiquent bien entre eux afin de bénéficier d’une prise en charge optimale. Les services d’oncologie, les agences régionales de santé ou les directions régionales de la jeunesse et des sports sont normalement en mesure d’indiquer les structures qui permettent d’accueillir les patients. Il suffit ensuite de se faire plaisir en s’offrant une bonne paire de chaussures, puis de faire le premier pas vers ces professionnels qui, quel que soit leur profil, auront toujours à cœur d’accompagner au mieux les patients et de leur redonner le goût à la vie.

Professeur à la Faculté des sciences du sport de l’Université de Poitiers (fss.univ-poitiers.fr)
Directeur du Laboratoire mobilité vieillissement exercice(move.labo.univ-poitiers.fr) Coordonnateur de la Chaire sport santé bien être(chairesportsante.univ-poitiers.fr)
@LaurentBosquet