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Depuis le début de l’année 2017, votre médecin a la possibilité de vous prescrire de l’activité physique lorsque vous souffrez d’une maladie chronique. Cela vaut-il la peine de troquer votre pilulier contre une paire de baskets ? En d’autres termes, le simple fait de dépenser un peu plus d’énergie chaque jour est-il suffisant pour prévenir les maladies chroniques, retarder leurs complications ou de façon plus générale améliorer votre bien-être ? Si les travaux scientifiques des dernières décennies soulignent sans équivoque l’intérêt d’adopter un mode de vie physiquement actif, il faut toutefois reconnaître qu’il s’agit d’une question complexe qui ne s’accommode pas d’une réponse manichéenne.

L’espérance de vie en France, qui était inférieure à 30 ans au 18ème siècle, a franchi la barre symbolique des 80 ans en 2004. Cette augmentation exceptionnelle de la longévité au cours des deux derniers siècles relève tout autant de la chute de la mortalité infantile, que de l’augmentation progressive de l’espérance de vie une fois que l’on a atteint l’âge de 65 ans (11). Le revers de la médaille est une augmentation proportionnelle de la probabilité de souffrir de maladies chroniques ou de limitations fonctionnelles, qui vont affecter de façon plus ou moins importante la qualité de vie des ainés (14). Le principal enjeu pour notre société n’est peut-être plus d’augmenter l’espérance de vie en tant que telle, mais plutôt l’espérance de vie en bonne santé. Bien qu’il existe des disparités selon le sexe, les statistiques françaises (14) et internationales (14) suggèrent que les personnes qui atteignent l’âge de 65 ans disposent en moyenne d’une période de 7 à 9 ans pendant lesquelles elles sont en bonne santé (réelle et perçue). Au-delà, les problèmes de santé s’accumulent de sorte que les 3 à 5 dernières années de la vie sont souvent associées à la maladie, à la souffrance et à l’isolement.

Ce tableau relativement sombre est-il évitable ? Est-il possible d’agir en amont pour prévenir l’apparition des maladies qui vont réduire notre espérance de vie en bonne santé ? Selon l’organisation mondiale de la santé (OMS), jusqu’à 80% des cardiopathies, accidents vasculaires et cas de diabète de type 2, et jusqu’à 30% des cancers pourraient être évités par l’élimination des facteurs de risque que ces pathologies ont en commun : le tabagisme, une alimentation inadaptée, une activité physique insuffisante (9). Il s’agit d’un enjeu de taille pour notre société, puisque les maladies cardiovasculaires et le cancer représentent environ 55% des causes de décès (4). En plus du drame que cela constitue très souvent pour les personnes et leur entourage, le poids de ces maladies sur notre système de santé est lui-même très important. En 2012, le rapport du haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie indiquait qu’environ 15 millions de français souffraient d’une maladie chronique, et que 9 millions d’entre eux bénéficiaient de l’affection de longue durée (ALD), qui permet une prise en charge complète des dépenses de santé associées à la pathologie par l’assurance maladie (7). En 2015, le nombre d’ALD a dépassé la barre symbolique des 10 millions. Très concrètement, cela signifie qu’un peu moins de 17% de la population française génère 61% des dépenses de santé prises en charge par l’assurance maladie (3). Si rien n’est fait, la soutenabilité de notre système de santé risque d’être confronté à moyen terme à d’importantes difficultés, comme c’est déjà le cas dans d’autres pays comme le Canada (2) ou la Chine (12).

Les moyens de prévention existent, et n’ont rien d’inaccessible puisqu’ils consistent la plupart du temps en un ajustement de nos habitudes de vie. Agneta Akesson, Professeur à l’Institut Karolinska de Stockholm en Suède, a publié en 2014 les résultats d’une étude longitudinale de 13 ans, qui s’est intéressée à la relation entre les habitudes de vie et le risque de souffrir d’un infarctus du myocarde (1). Sa cohorte était constituée de près de 21000 hommes en bonne santé, âgés de 49 à 79 ans au début de l’étude. L’un des faits saillants de cette étude est l’effet additif des habitudes de vie, puisque le risque relatif de souffrir d’un infarctus du myocarde diminue au fur et à mesure où l’on ajoute des comportements favorables à la santé. Parmi ces comportements positifs figurent une alimentation saine (de type méditerranéenne avec une part importante consacrée aux végétaux), le maintien de son poids dans des limites normales (tour de taille inférieur à 100 cm chez les hommes et 88 cm chez les femmes), une consommation d’alcool modérée (10 à 30 g d’alcool par jour), ne pas fumer et adopter un mode de vie physiquement actif (1).

La place centrale de l’activité physique n’est pas surprenante. Platon ne soulignait-il pas que le manque d’activité détruit la bonne condition, alors que le mouvement et l’exercice physique méthodique la préservent ? Il a pourtant fallu attendre le milieu du XXème siècle et les premiers travaux de Jérémy Morris, médecin à l’école d’hygiène et de médecine tropicale de Londres, pour apporter des éléments de preuve à cette phrase pourtant emprunte de bon sens. Il a en effet pu montrer dans une étude désormais célèbre que les chauffeurs des bus londoniens avaient une incidence d’infarctus du myocarde quasiment deux fois plus élevée que celle des contrôleurs qui passaient leur journée à monter et descendre l’escalier du bus pour poinçonner les tickets (8). Au-delà du scepticisme habituel qui apparaît dès lors que l’on remet en cause l’ordre établi, il fut souvent opposé à Jérémy Morris et son équipe que si le contrôleur occupait cet emploi, c’est peut-être qu’il était déjà, au départ, en meilleur forme physique et cardiovasculaire que son comparse chauffeur. Ce probable biais de sélection ne permet donc pas de conclure que la différence d’incidence d’infarctus du myocarde entre les deux groupes est directement imputable à l’activité physique. Bien que tout à fait recevable, cet argument fut rapidement écarté. Ralph Paffenberger, Professeur à la faculté de médecine de l’Université Stanford aux Etats Unis, a en effet rapporté des résultats comparables à ceux de Jérémy Morris chez les employés du port de San Francisco (10). Le taux de mortalité coronarienne était 80% plus élevé chez les employés de bureau en comparaison aux manutentionnaires qui étaient sur les docks. Leur spécificité par rapport aux employés de la société des transports de Londres est que l’attribution des emplois se faisait en fonction de règles syndicales très strictes qui ne tenaient pas compte de l’état de santé, contrôlant ainsi le biais de sélection. Depuis ces travaux princeps, une multitude d’études scientifiques ont souligné l’intérêt d’un mode de vie physiquement actif et de façon plus générale des habitudes de vie dans la prévention primaire et secondaire des maladies chroniques, de sorte que le niveau de preuve est maintenant considéré comme très élevé par la communauté médicale et scientifique.

Comment se retranscrit ce message dans la pratique ? Notre société réussit-elle à convertir ces recommandations de santé publique en comportements favorables pour la santé ? Intéressons-nous aux cinq facteurs proposés par Agneta Akesson : l’alimentation, la consommation d’alcool, le tabac, le poids et l’activité physique (1). En ce qui concerne l’alimentation, force est de constater l’incapacité des campagnes de sensibilisation à atteindre leur cible, puisque la proportion des gros consommateurs de végétaux (> 5 fruits et légumes par jours) est restée stable (25%) de 2007 à 2016, alors que celle des petits consommateurs (<3,5 fruits et légumes par jour) n’a cessé de croitre, passant de 47% en 2007 à 54% en 2016 (15). En ce qui concerne la consommation d’alcool, elle a été divisée par deux depuis 1970, ce qui est globalement positif (13). Cependant les dernières statistiques soulignent une évolution des pratiques qui incite à la prudence, puisque la proportion des 18-24 ans qui a connu au moins trois ivresses dans l’année a été multipliée par deux en neufs ans (entre 2005 et 2014). Cette augmentation est particulièrement vraie pour les jeunes femmes, chez qui cette proportion a été multipliée par 5 au cours de la même période (13). La même prudence est de mise pour le tabac (6). Si la prévalence a fortement diminué chez les plus jeunes (15 – 19 ans) et est restée stable chez les 20 – 44 ans entre 2000 et 2014, nous constatons une recrudescence chez les 45 – 54 ans, puisque la prévalence du tabagisme dans cette catégorie a augmenté de 25% chez les hommes et 35% chez les femmes (6). Si le rapport de l’enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l’obésité
(OBEPI) indique que le tour de taille moyen des françaises (86,5 cm) et des français (95,1 cm) reste globalement en deçà des critères proposés par Agneta Akesson (88 et 100 cm, respectivement), l’évolution de cet indicateur de la composition corporelle au cours des deux dernières décennies indique que nous devrions les attendre d’ici à 2030. Par ailleurs, l’évolution de l’indice de masse corporelle (IMC : la taille divisée par le poids élevé au carré) montre très clairement une dimension de la proportion des individus ayant un IMC considéré comme normal (58 à 49% entre 1997 et 2017), une stagnation de la proportion des personnes en surpoids aux alentours de 30% et surtout une augmentation continue de la proportion des personnes considérées comme obèses (8 à 14% entre 1997 et 2012). Enfin les données recueillies dans l’enquête nationale nutrition santé (16) de 2006 et dans l’étude de santé sur l’environnement, la bio-surveillance, l’activité physique et la nutrition de 2015 (5) indiquent une augmentation de 7 points du pourcentage d’adultes physiquement actifs chez les hommes (de 63 à 70%) et une diminution de 10 points chez les femmes (de 62,5 à 52,5%).

Ces quelques données sont à interpréter avec prudence, car nous savons qu’elles peuvent varier de façon considérable selon l’âge, le genre, le niveau d’éducation, les revenus ou le milieu de vie. Elles soulignent néanmoins un paradoxe qui n’est malheureusement pas spécifique à notre pays : le niveau global de nos habitudes de vie se dégrade au fur et à mesure où le niveau de preuve de leur rôle dans la prévention des maladies chroniques et plus généralement dans l’allongement de notre espérance de vie en bonne santé s’accumulent. L’échec des campagnes de sensibilisation ou des recommandations gouvernementales ne serait-ce qu’à infléchir la tendance globale tient à la difficulté de les convertir en actions qui ont du sens pour les individus et qui s’intègrent dans leur environnement spécifique. Les recommandations ne sont pas des plans d’action, et la mise en œuvre d’un plan d’action ne garantit pas le changement durable du comportement. Il est question d’éducation, et plus généralement d’éducation à la santé. Or comme le soulignait Anaximandre, philosophe grec qui fut un contemporain de Thalès, enseigner n’est pas remplir un vase, c’est allumer un feu. Tout l’enjeu consiste donc à créer un cadre favorable au changement. Il s’agit d’un défi de taille, auquel cette chronique mensuelle tentera modestement d’apporter des éléments de réponse.

SOURCES

[1] Akesson A, et coll. Low-Risk Diet and Lifestyle Habits in the Primary Prevention of Myocardial Infarction in Men A Population-Based Prospective Cohort Study. J Am Coll Cardiol 2014 ; 64 : 1299 – 1306.

[2] Boisclair D, Décarie Y, Laliberté-Auger F, Michaud PC. Réduction des maladies cardiovasculaires et dépenses de santé au Québec à l’horizon 2050. 2016 : 1-16.

[3] Caisse nationale d’assurance maladie. Rapport sur l’évolution des charges et des produits de l’assurance maladie. 2016, pp 1-178.

[4] Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques. Rapport sur l’état de santé de la population en France. 2015, pp 1-502.

[5] Équipe de surveillance et d’épidémiologie nutritionnelle (Esen). Étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition (Esteban), 2014-2016. Volet Nutrition. Chapitre Corpulence. Saint-Maurice : Santé publique France, 2017. 42 p.

[6] Guignard R, et coll. La consommation de tabac en France et son évolution : résultats du baromètre santé 2014. Bulletin d’épidémiologie hebdomadaire 2015 ; 17-18 : 281-288.

[7] Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie. Rapport annuel. 2012, pp 1-123.

[8] Morris J, et coll. Coronary heart disease and physical activity of work. The Lancet 1953 ; 11 (21) : 1053-1057.

[9] Organisation mondiale de la santé. Les maladies non transmissibles : principales causes de décès dans le monde. WHO. Avril 2011.

[10] Paffenberger RS, et coll. Characteristics of longshoremen reated to fatal coronary heart disease and stroke. Am J Pub Health 1971 ; 61 (7) : 1362 – 1370.

[11] Pison G. France 2004 : l’espérance de vie franchit le seuil de 80 ans. Population et sociétés 2005 ; 410 : 1-4.

[12] Popkin B. Will China’s nutrition transition overwhelm its health car system and slow economic growth ? Health Affairs 2008 ; 27 : 1064-1076.

[13] Richard JP, et coll. La consommation d’alcool en France en 2014. Evolutions 2015 ; 32 : 1-6

[14] Robine JM, Cambois E. Healthy life expectancy in Europe. Population et sociétés 2013 ; 499 : 1-4.

[15] Tavoularis G, Hébel P. Fruits et légumes : les français suivent de moins en moins la recommandation. Consommation et modes de vie 2017 ; 292 : 1-4

[16] Unité de surveillance et d’épidémiologie nutritionnelle (Usen). Étude nationale nutrition santé (ENNS, 2006) – Situation nutritionnelle en France en 2006 selon les indicateurs d’objectif et les repères du Programme national nutrition santé (PNNS). Institut de veille sanitaire, Université de Paris 13, Conservatoire national des arts et métiers, 2007. 74 p

LAURENT BOSQUET

Professeur à la Faculté des sciences du sport de l’Université de Poitiers (fss.univ-poitiers.fr)

Directeur du Laboratoire mobilité vieillissement exercice(move.labo.univ-poitiers.fr) Coordonnateur de la Chaire sport santé bien être(chairesportsante.univ-poitiers.fr)

@LaurentBosquet

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