Les Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) sont un formidable accélérateur de transformation sociétale. L’élan qu’ils permettent d’impulser auprès de la population, des acteurs socio-économiques et des collectivités permet d’envisager un héritage qui va bien au-delà des médailles et des grands équipements. C’est en tous les cas l’objectif que se sont fixés les organisateurs de Paris 2024, qui misent sur les JOP pour que le sport et l’activité physique deviennent des vecteurs durables de santé et de cohésion sociale. Ce lien entre le sport de haut niveau et le sport santé est-il si évident ? N’y a-t-il pas certaines spécificités qui font du sport santé un champ à part entière ?

Intéressons-nous tout d’abord aux raisons qui font que les athlètes de haut niveau sont en mesure de réaliser des performances inaccessibles à la très grande majorité de la population. Elles sont bien entendu complexes et multifactorielles. Néanmoins, si nous nous intéressons à la dimension strictement physique, la performance, notamment dans les épreuves de moyenne et de longue durée, est déterminée en très grand partie par trois grands facteurs (4).

Le premier est la cylindrée de votre moteur, que l’on appelle communément VO2max. Le second est votre capacité à maintenir un pourcentage élevé de cette cylindrée pendant toute la durée de l’épreuve, que l’on qualifie d’endurance. Enfin, le troisième facteur est votre capacité à vous déplacer de façon efficace, c’est à dire en dépensant peu d’énergie. C’est ce que l’on appelle le coût énergétique. Partant de là, l’objectif pour les entraîneurs et les athlètes est d’identifier les formes d’exercice les plus efficaces pour améliorer ces paramètres de la performance. De ce point de vue, nous distinguons les exercices continus d’intensité modérée des exercices intermittents à haute intensité. Les premiers consistent à réaliser un effort de 30 minutes ou plus à une intensité sous-maximale, alors que les seconds consistent à alterner des périodes d’efforts de 15 à 300 secondes réalisés à haute intensité avec des périodes de repos de durée équivalente (3). A ces deux formes d’exercice s’ajoutent les exercices de renforcement musculaire, qui vont permettre d’améliorer les différentes composantes de la force, et se faisant agir favorablement sur le coût énergétique (2). Si les méthodes d’entraînement sont relativement bien identifiées, il faut bien garder à l’esprit qu’elles ne sont que les ingrédients du succès. Chaque individu, quel que soit son niveau de pratique, s’adapte différemment à un programme d’entraînement, et ce qui est optimal pour les uns ne l’est pas nécessairement pour les autres (8). Ainsi, tout l’art de l’entraîneur consiste à identifier le dosage qui permettra à chaque athlète, compte tenu de son profil physique et psychologique, d’atteindre la performance la plus proche possible de son potentiel.

Qu’en est-il de la santé ? Comme nous avons pu l’évoquer dans une précédente rubrique , la relation entre l’activité physique et la santé est une relation sinueuse. Si Platon soulignait déjà que le manque d’activité détruit la bonne condition, alors que le mouvement et l’exercice physique méthodique la préservent, ce n’est qu’au milieu des années 50 que les premières études établissant un lien entre la santé cardiovasculaire et les niveaux d’activité physique ou de sédentarité ont été publiées (9). Elles ont permis d’ouvrir une nouvelle ère et d’infléchir très progressivement la position dominante qui consistait à proscrire l’activité physique lorsqu’on souffrait de problèmes cardiaques. Six décennies et des milliers de publications plus tard, les bénéfices associés à un mode de vie physiquement actif sont unanimement acceptés par la communauté scientifique et médicale (6, 10). La question n’est donc plus de savoir s’il faut bouger, mais plutôt de savoir comment bouger de la façon la plus efficace possible pour notre santé. L’effet positif des exercices d’intensité modérée sur le contrôle de la pression artérielle, de la glycémie ou du profil lipidique est très bien établi, ce qui les place au cœur des recommandations européennes ou américaines (1, 12). L’intérêt des exercices à haute intensité est quant à lui beaucoup plus récent, puisque la quasi-totalité des articles scientifiques disponibles à ce jour ont été publiés au cours de la dernière décennie. Les études menées par notre groupe de recherche montrent très clairement que cette modalité d’exercice, en plus d’être aussi bien tolérée par les patients que les exercices d’intensité modérée, est souvent plus efficace pour améliorer un certain nombre des paramètres de condition physique ou de santé (7). Il faut toutefois rester mesurés, car si la majorité des études scientifiques convergent vers cette idée d’une plus grande efficacité des exercices à haute intensité, il en existe également un certain nombre qui suggèrent que ce n’est pas systématiquement le cas (5). Chaque méthode d’entraînement a ses spécificités, et c’est leur combinaison qui permet d’atteindre les adaptations les plus favorables pour le patient. N’est-ce pas par cette règle que nous avons conclu la section de cette rubrique dédiée au sport de haut niveau ? En ce sens, sport de haut niveau et sport santé s’appuient sur des bases communes.

Ce dernier point est particulièrement important, notamment dans le cadre de la prescription d’activité physique aux patients atteints d’une affection de longue durée. Puisque l’important est d’avoir une vie physique variée qui intègre différents types de sollicitations, tout l’enjeu pour le médecin n’est pas d’identifier l’activité physique la plus efficace pour son patient, mais plutôt de l’accompagner afin qu’il opte durablement pour un mode de vie physiquement actif. Il est désormais question d’éducation, et plus généralement d’éducation à la santé. Or comme le soulignait Anaximandre, philosophe grec qui fut un contemporain de Thalès, enseigner n’est pas remplir un vase, c’est allumer un feu. Le problème est que les modèles sur lesquels nous nous appuyons pour accompagner le changement de comportement considèrent que chaque individu est un super héros doté d’au moins trois super pouvoirs : il est parfaitement informé sur toutes les options de choix qui lui sont proposées, il est capable de les traiter de façon logique et dénuée d’émotion et enfin il a des préférences stables dans le temps qui sont indépendantes de la façon dont les choix lui sont proposés (11). Cela revient à regrouper l’intelligence d’Einstein, la sagesse de Gandhi et la capacité de calcul de Watson (le supercalculateur d’IBM) en une seule personne. Elle n’est bien sûr pas de ce monde, et à notre grand dépit (quoi que), l’être humain est un être de comparaison plutôt que de raison, un être d’émotion, d’intuition, de contexte, d’habitude, bref … un être irrationnel. S’il est important de développer des plans d’actions qui respectent les recommandations des sociétés savantes et s’appuient sur une validation scientifique, l’enjeu est surtout de proposer un cadre général qui intègre cette irrationalité. Cela implique bien entendu d’identifier et de proposer des activités qui ont du sens pour l’individu, mais aussi de construire un système de mise en œuvre à l’échelle du territoire qui ne se limite pas aux professionnels qui encadrent l’activité physique, et qui intègre les installations, les transports, ou encore un aménagement urbain propice aux mobilités douces. Enfin, ces dispositifs doivent être assortis d’un modèle économique qui permet de mettre les acteurs du territoire en synergie et ainsi de contribuer à leur pérennité. Bien que ces préoccupations concernent également le sport de haut niveau, elles s’expriment de façon très spécifique pour le sport santé. Il existe plusieurs expérimentations en France, que ce soit à l’échelle des agglomérations, des départements ou des régions. Un des plus beaux héritages que pourraient nous laisser les JOP de Paris 2024 serait que la population et l’ensemble des territoires s’approprient ces expérimentations afin de développer les dispositifs les plus adaptés à leurs caractéristiques, et permettre à notre société de faire de l’activité physique et du sport un des principaux vecteurs du bien-être et du vivre-ensemble.

Sources

  1. Balady et coll. Core components of cardiac rehabilitation/secondary prevention programs: 2007 update: a scientific statement from the American Heart Association Exercise, Cardiac Rehabilitation, and Prevention Committee, the Council on Clinical Cardiology; the Councils on Cardiovascular Nursing, Epidemiology and Prevention, and Nutrition, Physical Activity, and Metabolism; and the American Association of Cardiovascular and Pulmonary Rehabilitation. Circulation 2007; 115: 2675-2682
  2. Berryman N, Mujika I, Arvisais D, Roubeix M, Binet C, Bosquet L. Strength Training for Middle- and Long-Distance Performance: A Meta-Analysis. Int J Sports Physiol Perform. 2018; 13: 57-63
  3. Bosquet L. Training aerobic capacity. In Mooren FC et Skinner JS (eds) Encyclopedia of exercise Medicine in Health and Disease. Springer, Allemagne, 2012: 856-859
  4. di Prampero PE, Atchou G, Brückner JC, Moia C. The energetics of endurance running. Eur J Appl Physiol 1986; 55: 259-66
  5. Ellingsen et coll. High-Intensity Interval Training in Patients With Heart Failure With Reduced Ejection Fraction. Circulation 2017; 135: 839-849
  6. Expertise collective de l’INSERM. Activité physique : prévention et traitement des maladies chroniques. Éditions EDP Sciences, France, 2019: 1-824
  7. Guiraud T, Nigam A, Gremeaux V, Meyer P, Juneau M, Bosquet L. High-intensity interval training in cardiac rehabilitation. Sports Med. 2012; 42: 587-605
  8. Montero D, Lundby C. Refuting the myth of non-response to exercise training: ‘non-responders’ do respond to higher dose of training. J Physiol. 2017; 595: 3377-3387
  9. Norris J, Heady J, Raffle P, Roberts C, Parks J. Coronary heart disease and physical activity of work. The Lancet 1953; 11: 1053-1057
  10. Organisation Mondiale de la Santé. Recommandations mondiales sur l’activité physique pour la santé. 2010 (http://who.int)
  11. Singler E. Nudge marketing : comment changer efficacement les comportements. Editions Pearson, France, 2015: 1-343.
  12. Vanhees et coll. Importance of characteristics and modalities of physical activity and exercise in the management of cardiovascular health in individuals with cardiovascular risk factors: recommendations from the EACPR. Eur J Prev Cardiol 2012; 19: 1305-1356
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